Comprendre et sentir l’espace, qu’est ce qu’un axe d’attaque, comment en sortir et de quelle manière, comment gérer ses déplacements et ses distances. Tous les déplacements seront conditionnés en partie par le type d’attaque que nous subirons. Toutes les défenses et les ripostes dépendront également du type de déplacement choisi.
Pour ceux à qui les bases martiales manquent, le jargon martial ajoute à la difficulté déjà grande de se représenter le corps en mouvement dans l’espace. Les bases ne sont pas très compliquées mais nous manquons peut être d’une visibilité qui nous oblige à aller prendre ailleurs, dans des disciplines qui ont jeté des bases pédagogiques simples et accessibles.
Notre sujet nous permettra, je le souhaite, d’acquérir ces principes pour une compréhension plus fine des spécificités du Tai Ji Quan.
En effet, ce cadre va déterminer le type de déplacement et d’esquives que nous aurons à effectuer. Il ne faudra pas voir dans l’analyse et les propositions qui suivent une échelle graduée de difficultés mais bien des cadres différents de travail. Ainsi, si nous nous basons sur la défense personnelle, l’idée maîtresse sera dans un premier temps de se mettre en sécurité, de ne pas être surpris puis d’adapter la technique en fonction du type d’agression que nous subissons (intention, intensité supposée, gabarit de l’adversaire etc.).
Ce sont les bases fondamentales de la self défense que nous verrons en premier lieu avec les déplacements du type Nihon Taijitsu. Lorsque le conflit est inévitable, que les armes sont reines, alors le cadre changera. Il faudra rester dans le combat et les déplacements seront différents (nécessité d’être mobile et rapide donc sur un appui, sur le bol du pied, talons levés par exemple comme en Kali).
Pour gagner des points et remporter la victoire, le combattant devra rester lui aussi dans le combat mais en respectant les règles de sa discipline. C’est le cadre sportif (le ring par exemple). Les esquives seront effectuées en fonction des règles et des techniques imposées.
Le Nihon Tai Jitsu m’a été d’une grande aide car il propose des exercices de bases fondamentales pour les attaques, les clés, les projections et pour…les déplacements.
Nous n’étudierons pas ici les déplacements en rotation. L’exercice consistera face à une attaque directe (coup de poing, poussée, coup de pied ) à sortir les deux points d’appui (les deux jambes) de l’axe d’attaque, soit en sortie extérieure, (en déplacement latéral, en avançant et en reculant) soit en sortie intérieure (en déplacement latéral, en avançant et en reculant). Facile à comprendre mais pas si simple à exécuter car il faut placer le bassin correctement pour faire face à l’attaque, être dans son axe et pouvoir plus tard se déplacer rapidement en restant centré et à bonne distance en fonction de la frappe et de la technique que l’on va faire.
Les gradés du Nihon Taijitsu pratiquent à chaque entraînement ces bases fondamentales, donc ne nous y trompons pas, même si elles semblent simples, c’est en peaufinant et répétant que le corps acquiert des automatismes.
Une sortie côté interne signifie que nous nous déplaçons du côté du centre du partenaire. Une sortie côté externe signifie que nous nous déplaçons à l’opposé de son centre…et cela change beaucoup de choses : d’abord dans nos repérages spatiaux puis dans l’appréhension du déroulement de l’attaque ou de la riposte.
Si je sors à l’extérieur et que je me positionne face à l’attaque, j’ai un avantage sur mon partenaire : j’ai changé mon axe, lui non. Je suis susceptible de passer dans « son angle mort » ou derrière lui, donc quand je lui fais face, lui me tourne presque le dos ou me présente ses flancs. Je peux prendre sa place sur son côté dans un angle où je serais centré et où lui sera facilement mis en déséquilibre (placement pour une projection, pour une poussée par exemple).
En sortie externe nous privilégierons en Tai Ji les zones flancs et dos. Les droitiers auront plus de facilité à sortir vers la gauche, la droite étant tout à fait accessible mais demandera en général un peu plus de pratique. C’est ce côté où l’on est un peu moins à l'aise que Su Dong Chen appelle « zone de sécurité » et qui me rendra un peu moins à portée de poings de mon adversaire (droitier).
Si je sors côté interne, je vais pouvoir attaquer des zones vitales plus aisément : tête, cou, organes et points vitaux au niveau du tronc, des flancs et des bras. Nous réduisons les distances d’une certaine façon et nous travaillons plus frontalement, ce qui n’est pas sans risque. Cette zone est qualifiée de « zone rouge » par Su Dong Chen, donc zone dangereuse qu’il faut éviter selon lui pour privilégier le côté externe gauche de l’adversaire. C’est pourtant cette zone qu’affectionnent les boxeurs : ils s’y engouffrent systématiquement et gardent ce rapport entre eux en tournant, comme s’ils pivotaient ensemble autour d’un axe commun.
Le Tai Ji Quan en tant que pratique de boxe a de nombreuses techniques efficaces en sorties internes et nous avons là, l’esprit de la pratique : rentrer, avancer, assaillir, déborder l’adversaire (c’est aussi l’esprit du tuishou carré).
Nous n’envisagerons pas les deux derniers qui nécessitent plusieurs pas. Dans les éducatifs, les déplacements se font sur une attaque directe gauche droite. Afin d’éviter toute confusion, je précise que c’est le premier déplacement qui nous intéresse ici car le second (celui que l’on fera en situation de combat) se fera en trois temps avec une sortie avec un point d’appui (celui que nous allons voir) puis une esquive à 45 ° par rapport à l’attaque (donc une sortie totale de l’axe) avec un semi-contrôle puis un contrôle sur un déplacement en avançant.
Il s’agira d’effectuer les mêmes déplacements vus précédemment en gardant cette fois un point fixe (Voir schéma en étoile):
Sortir en gardant un pied quasiment dans l’axe du partenaire, en faisant face à l‘attaque, en déplacement latéral, en avançant et en reculant en sortie interne et externe.
Nous gardons un appui qui va nous servir de pivot : les esquives sont donc plus petites que précédemment. Elles vont nécessiter une plus grande mobilité du tronc, des épaules et de la tête. Nous allons travailler ici davantage en rotation.
Les coups sont plus difficiles à parer, il faut être rapide pour éviter la frappe et être suffisamment centré pour ne pas être soi même désaxé. Les pratiquants de kali utilisent alors simultanément la parade et la frappe. Ces esquives sont très efficaces pour « rentrer » chez l’autre et le stopper dans son élan. Le poids du corps va passer à l’avant du pied, dans les orteils pour libérer la hanche et le talon. La forme de corps change : les positions sont plus basses (flexion des genoux), le dos est plus arrondi et la garde resserrée.
Nous nous rapprochons ici des techniques et de la forme de corps des boxeurs traditionnels. Cette mobilité nous permettra en Tai Ji Quan d’exécuter les frappes en « rafale ».
Il y a tellement de boxes qu’il est difficile d’en parler mais disons que d’une manière générale, en boxes occidentales, les techniques d’esquive en déplacement existent bien, mais elles ont la particularité d’avoir des techniques d’esquive par pivotement du tronc en restant sur place (le rôle de la taille est considérable) :
en flexion latérale (inclinaison du tronc), en esquive en torsion (retrait par rotation du tronc et extension dorsale), l’esquive par dessous (verticale ou rotative), le retrait de buste en arrière (par extension dorsale). La tête est très mobile; les jambes servent de balancier la plupart du temps.
Nous voyons donc que plus nous nous rapprochons de la boxe, plus les petites esquives sont nombreuses, moins le corps bouge, plus la taille est mobile (ce que nous travaillons beaucoup en Tai ji) et plus nous nous économisons et gagnons en concentration (dans le sens de centrage). Nous retrouvons très bien cela dans les esquives en tuishou, dans les pivotements sur place du petit sanshou ou dans les blocages en pivot comme dans le blocage qui précède « saisir la queue de l’oiseau » : un blocage en percussion sur avant bras/ poignet.
Lorsque nous travaillons avec les casques et que les coups sont portés ou que nous sommes en randori (attaque d’une personne par plusieurs partenaires durant plusieurs minutes), quelque que soit la discipline, il faut se protéger, gagner une zone de sûreté, donc esquiver d’une manière ou d’une autre. On arrive au début à bien gérer les coups et les déplacements mais l’intérêt de ce type de travail réside dans le fait que la pression monte et qu’il devient de plus en plus difficile de placer des techniques. Que reste il alors ? Il reste des principes, dont celui de base : sortir (se protéger) et ce n’est déjà pas mal. Les techniques s’estompent pour laisser place à la spontanéité dans le combat. Au final, le défenseur ne sait plus trop ce qu’il a ou non placé.
Nous disons au sujet de nos postures qu’au fur et à mesure de notre progression, nous réduisons les cercles. Nous ne sommes pas les seuls, chaque discipline martiale cherche à réduire ses mouvements pour rentrer de la manière la plus directe, la plus rapide et la plus efficace possible.
Les esquives totales nous apprennent à nous localiser « géographiquement » et à appréhender progressivement le combat : « d’abord je sors, ensuite je bloque, je contrôle, je frappe ». Ces déplacements « simples » (totaux ou partiels) vont nous permettre d’évaluer facilement les distances : longues, moyennes et courtes. Chacune de ces distances sera en adéquation avec le type de frappe que nous souhaitons donner : coup de pied long, coup de genou, corps à corps / coup de poing, coup de coude, coup d’épaule, coup de tête.
Les esquives partielles nous apprennent progressivement à être plus économes dans nos déplacements et surtout à bouger davantage le tronc et la taille. Tout dépendra encore une fois du cadre dans lequel nous travaillons (self/ combat etc.)
Dans l’étude des postures et de la forme, nous cherchons à comprendre et à sentir l’espace.
Dans la forme et dans le travail à deux des coups de pied : nous privilégions les coup de genou, les coups de pied d’arrêt, les coups de pied bas, les crochetages. Tous les déplacements dans la forme sont des occasions de les travailler ( forme de corps : pieds, jambes, bassin). La rotation de la taille peut servir à elle seule d’esquive, nous éprouvons son potentiel dans la poussée des mains et nous en prenons conscience à travers la forme. Reste à la placer en combat.
Dans l’application des techniques: se placer correctement en restant centré et fort dans ses jambes tout en restant mobile ; être conscient clairement de sa position par rapport à l’attaque, agir avec précision, adapter la technique à la distance ; évaluer la situation, le type et l’intensité des frappes (cadre).
Le tuishou à pas fixe et mobile reste probablement le meilleur travail pour éprouver toutes ces techniques et ces principes.
Nos techniques de boxe Tai Ji sont adaptées aux moyennes et courtes distances, nous ne sommes pas les spécialistes des grands coups de pied, nos techniques de poing sont courtes. Les esquives sont donc plus petites. Elles se font souvent sur place en rotation du bassin ou en rotation de tout le corps sur lui même, en retrait de la tête, en retrait et inclinaison du tronc (les paumes du cobra) mais aussi en absorption (le serpent qui rampe, le serpent crache son venin). Esquiver ne signifie pas toujours rentrer : dans l’esquive, une technique de préparation peut venir se glisser avant la technique proprement dite (un contrôle par clé en percussion par exemple avant l’exécution d’un saisie de queue de l’oiseau, déjà vu précédemment) .
Dans les manuels, nous retrouvons les déplacements du Tai Ji Quan au nombre de cinq :
avant/ arrière/ droite/ gauche/ centre.
Nous constatons que dans les grandes lignes rien ne change vraiment : le déplacement fonctionne comme esquive. Nous avons cependant quelques particularités. En situation de combat, il vaut mieux se déplacer que rester statique. Et pourtant, nous trouvons classé dans la catégorie déplacement : le centre.
Comme chez les boxeurs, certains mouvements se feront quasiment sur place, sans déplacement du corps, sans décalage, en restant frontal, l’esquive sera courte ( tête, bassin). La distance avec le partenaire sera donnée par un coup de pied bas, un coup d’arrêt par exemple, un blocage ou une frappe. Nous retrouvons ce type de mouvement dans « la grue blanche » ou dans « caresser l’encolure du cheval ».
Un type d’esquive peut venir se greffer à cela : je l’ai observé en balintawak aussi : l’esquive en « absorption » : il n’y a pas de décalage par rapport à la ligne d’attaque, je reste sur place mais j’absorbe en arrondissant le dos et en « creusant » ainsi le ventre. Le pendant de cette esquive en boxe occidentale serait le retrait du tronc en arrière et en flexion dorsale (voir dessin ) que nous n’avons pas en Tai Ji. Peut venir également s’ajouter à ce type d’esquive un mouvement de jambe de « pas chassé » : l’impulsion de la jambe arrière chasse le pied avant (qui a un potentiel de frappe). Nous le retrouvons dans « le double poing sous le coude » ( 2ème partie du Yang Lu Chan) mais nous pouvons le mettre dans d’autres mouvements comme dans « caresser l’encolure du cheval », « coup de poing sous le coude » du Yang Chen Fu et d’autres encore.
Su Dong Chen insiste beaucoup non pas sur les déplacements en tant que tels mais sur la manière de les faire : partir d’une « position naturelle » (posture d’attente, pieds parallèles comme nous le retrouvons en Nihon Tai Jitsu), « méthode de la course » à la façon d’un sprinter, qui nécessite une garde en arc et flèche même petite, le poids est dans les orteils, prêt à bondir (technique commune au kali et Tai Ji Quan même si la forme de corps est différente).
Quant au travail interne nécessaire au travail des déplacements,
vous trouverez de nombreux ouvrages sur le rôle de la décontraction, de l’équilibre , l’importance du relâchement des articulations etc.,
ce que Yang Jwing Ming appelle «La régulation du corps »
(in Théorie du Taichi-Chuan, budo édition entre autres)
et c’est là bien sûr une part immense du travail.
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