La stabilité est une problématique fondamentale des arts martiaux et des arts du combat.
Elle est au cœur des apprentissages techniques.
En faisant mes recherches et en discutant avec des pratiquants de différentes disciplines, je me suis rendue compte que chacun avait en fonction de sa pratique, sa propre conception du déséquilibre mais il s’agira toujours quelque soit la discipline, de rompre et / ou de rétablir un équilibre entre deux personnes.
Je ne souhaite pas décrire les notions de biomécanique (centre de gravité, polygone de sustentation, centre de pression etc.), vous trouverez tout cela sur la toile.
Cependant, il est à noter que d’un point de vue biomécanique, la plus grande des stabilités se trouve lorsque nous sommes sur nos deux points d’appui. Cela signifie qu’il y a déséquilibre lorsque il y a perturbation, lorsqu’en combat, un mouvement et une direction, nous sont imposés. Il n’est pas nécessaire de tomber pour être déséquilibré. Nous avons la capacité de nous maintenir debout et nous avons le choix de nos mouvements. Nous nous adaptons en permanence aux mouvements de l’autre (ou à l’inverse, c’est nous qui lui imposons des directions). Nous sommes donc dans un rapport interdépendant.
Dés lors, le déplacement est déjà une forme de déséquilibre.
Mais le véritable équilibre se trouve bien avant et après l’application.
Je me suis appuyée sur le travail des judokas, spécialistes en la matière, qui ont poussé loin cette notion. Même si nos objectifs, nos techniques sont très différentes, nous avons quelques points communs. Dans tous les cas, ils peuvent nous renseigner, nous questionner sur ce qui fait la particularité de notre art.
C’est par la répétition d’exercices (Uchi Komi 1- Nagé Komi 2) avant l’exécution de la technique à proprement dit, que les judokas s’entraînent au déséquilibre.
Traditionnellement, ils le font dix fois, pour affiner leurs sensations et pour bien placer leur partenaire.
Pour que le déséquilibre soit réussi, il faut que le judoka déplace Uke3 et il ne le peut qu’en se déplaçant lui même. En judo, le déplacement est donc nécessaire pour le déséquilibre. Il peut se faire pour lui, comme pour Uke, dans toutes les directions (lorsqu’il avance, recule, avance latéralement etc.).
La technique se place ensuite au moment propice. Très souvent lors des balayages (Barai), il lui faudra faucher la jambe de son partenaire au moment précis où celui-ci pose son pied (il est alors sur un seul point d’appui); le balayage se fait donc souvent au ras du sol et au dernier moment, lorsque le partenaire est le plus vulnérable.
Nous voyons ici que les déplacements ne servent pas qu’à l’esquive (voir article sur l’esquive dans le journal précédent) mais ils servent aussi à se placer dans le but de changer le rapport entre les partenaires (la configuration du combat).
Nous avons à faire dans les projections à des déséquilibres en dynamique qui ont pour objectifs la chute et le contrôle au sol.
Les objectifs en judo diffèrent des nôtres dans la mesure où nous privilégions davantage les techniques de frappes et nous avons peu d’amenées au sol. Nous y reviendrons.
Mais nous avons cependant un certain nombre de projections dont les plus connues sont :
Brosser le Genou, Serpent qui Rampe, Vol en Diagonal.
Dans leurs applications, elles ne diffèrent en rien des techniques de judo et de jujitsu.
Ainsi, Tai Otoshi est un Brosser le Genou et sa variante Harai Goshi est un Brosser le Genou avec un balayage.
Serpent qui Rampe ressemble à Tamara Guruma et la transition du Vol en Diagonal à Ashi Barai.
Vol en Diagonal est un Tani Otoshi avec sa variante possible en Sutemi4.
(Tapez le nom des techniques sur le net et vous ferez vos propres rapprochements).
Ce qui diffère est la forme de corps mais les techniques se ressemblent et les principes restent immuablement les mêmes.
1/ Se déplacer (on se déplace et on se positionne pour faire le balayage)
2/ Déplacer le partenaire (en se déplaçant, on a forçé Uke à se mettre sur un seul point d’appui.
En appuyant sur le coude et en poussant l’autre main vers le haut, on s’apprête à faire le mouvement de « roue ». L’action des deux mains est importante : 2 pressions/ 2 directions)
3/ Le balayage (le partenaire déséquilibré glisse en avant. On utilise le pied en cueillere, au ras du sol)
Sans ces conditions réunies, cette application ne passera pas.
1/ Se déplacer (passer derrière le partenaire, parallèle à lui, le coller et prendre sa place);
2/ Déplacer le partenaire (je le décale en prenant sa place mais en veillant à ce qu’il soit bien sur un point d’appui et non en le réinstallant sur ses deux pieds ce qui se produit en général);
3/ La poussée (en arrière en « cisaillant » ou latéralement, c’est à dire dans le sens du déplacement, cela dépend de son placement à lui).
Sans ces conditions réunies, Vol en Diagonal, en technique de projection ne passera pas.
1/ Se déplacer (je me tourne dos contre lui)
2/ Déplacer le partenaire
(je l’ai saisi lors de mon déplacement et j’ai tiré son bras gauche pour que son talon droit décolle afin qu’il soit déséquilibré, voir dessin 1)
3/ Rotation du corps ( qui va l’entraîner dans le vide),
Sans ces conditions réunies, Brosser le Genou en technique de projection ne passera pas.
1/ Se déplacer
(j’absorbe le coup en me plaçant en arrière et en me baissant)
2/ Déplacer le partenaire
(je rentre entre ses jambes, je le place sur mes épaules, je tire son bras pour provoquer un déséquilibre)
3 / Rotation du corps (je tire son bras et je l’entraîne dans le vide en pivotant le corps)
Sans ces conditions réunies, Serpent qui Rampe en technique de projection ne passera pas
Quand on rencontre une résistance dans ces techniques, c’est que le placement est mauvais et que le déséquilibre n’y est pas. Si au contraire, on ne sent rien, alors c’est que le timing est bon et que le placement est juste.
Dans les projections, nous chargeons toujours le partenaire (l’idéal étant de mettre le moins de force possible) ; selon les techniques, on pose le partenaire sur les épaules (ou les genoux etc.) ou alors on ne peut pas le faire et la projection se fera dans le mouvement.
Quoi qu’il en soit, pour éviter d’être déséquilibré avec « cette charge » ou cette « masse » (poids / vitesse) qui arrive, la charge ne doit pas être dans notre centre .
Nous devons la faire tourner autour de notre axe.
Lorsque l’on court, notre poids est en avant. Lorsque nous faisons Serpent qui Rampe en projection (Kata Guruma ou Tamara Guruma), la charge sera dirigée vers l’avant et non vers soi :
on orientera le bras de l’adversaire vers le haut légèrement et en rotation.
En boxe anglaise et française, il n’y a ni saisie ni projection.
Le boxeur sera déséquilibré lors d’un déplacement (mauvais appui), sur une poussée ou éventuellement sous l’impact d’un ou plusieurs coups. Comme dans nos principes, si les appuis sont mauvais, si la colonne vertébrale est mal positionnée (voir le travail interne ci-dessous), alors il sera déstabilisé.
Le travail dans le vide (Shadowboxing) est un entraînement qui permet de travailler cette stabilité et cette précision, sans force.
Nos techniques de Tai Ji sont vastes dans la mesure où nous avons les saisies, les projections et de très riches applications. Mais qu’en est-il du déséquilibre dans nos techniques de frappe?
Dans la progression de nos apprentissages, nous apprenons, et ce quelque soit la discipline, à réduire nos mouvements. C’est ainsi, qu’hormis les projections, les grands déséquilibres deviennent plus petits. Cherchons les…
Nous pouvons, après l’esquive d’un coup de poing, faire une clé en percussion sur l’avant bras.
Cette percussion est efficace en elle-même. Mais nous pouvons légèrement l’orienter vers le bas et le coté ce qui aura pour effet d’entraîner l’adversaire vers l’avant.
Le partenaire s’offre ensuite naturellement à la frappe.
Dés que nous contrôlons le coude, nous pouvons nous en servir pour provoquer un déséquilibre. Ainsi,
- exercer une poussée du coude en direction du visage par exemple avant de faire un "Tirer"
(voir dessin 3)
- pousser le partenaire dans une direction tout en séparant les articulations dans Simple Manœuvre par exemple, avant une clé de contrôle au sol ou une frappe sur le coude retourné. Dans ce cas, nous donnons une direction différente à la frappe.
- mettre le bras en écharpe et fermer ainsi l’adversaire puis pousser dans/ vers le centre…
Dans le Petit Sanshou, dans l’entraînement au Long Har Quan, dans nos techniques de frappe, nous avons souvent ces principes de base qui reviennent « Esquive, bloque, contrôle, frappe ».
Nous pouvons ajouter un léger déséquilibre sur le bras au moment des percussions et des blocages pour entraîner l’adversaire vers le bas ou vers l’avant : pas forcement pour l’amener au sol ou pour le faire tomber mais pour le perturber.
L’action circulaire propre au Long Har Quan utilise encore une autre énergie :
elle va permettre dans les mouvements rapides de rebondir et de déstabiliser l’adversaire.
Selon l’application (ici, sur tentative d’étranglement, esquive en absorption et pique aux yeux puis pression des bras vers le bas), elle provoque des secousses dans les cervicales.
Nous avons agit dans cette application dans trois directions différentes :
Absorber : esquiver l’attaque à la gorge en reculant et en boxant les avants bras de l’adversaire avec les poignets
Piquer : revenir vers les yeux alors que l’adversaire est déjà en avant (il « s’enfourche »).
Baisser : saisir les bras et appuyer sèchement vers le bas, verticalement ou légèrement vers soi.
Cette application entraîne une sorte de « déséquilibre secousse » en créant chez l’autre un mouvement « avant/ arrière/ mouvement brusque vers le bas ».
Nous l’amenons dans des directions imprévues de lui et nous menaçons sa stabilité. Nous perturbons une dynamique active (étranglement, coup de poing, coup de pied) en déviant les directions, sans beaucoup de force.
Nous voyons dans ces petits déséquilibres une frontière fragile entre le choc (déséquilibre) et la déstabilisation mentale ou psychologique (effet de surprise).
Il nous pousse à expérimenter l’enracinement, à fluidifier nos mouvements pour laisser passer la force et pour éviter tous les blocages qui nous mettraient dans un rapport d’opposition que nous ne voulons pas : « céder, absorber, dévier ». Ces expérimentations sont un formidable entraînement et nous aide à comprendre comment ça fonctionne.
Ce qui est particulier au Tuishou libre à pieds fixes, c’est que nous sommes rivés au sol : nous sommes telle une corde accrochée de haut et en bas. Nous faisons travailler nos articulations, notre bassin, notre colonne devient ondulante, la taille s’assouplit, les épaules se relâchent, nous apprenons à absorber la force en nous asseyant dans la jambe arrière, en travaillant au ras du sol…
Nous apprenons ainsi à dissocier le haut du bas, nous « découplons ».
Dans les projections de type Tai Otoshi (Brosser le Genou), il s’agit à l’inverse de « coupler » avec le partenaire, c’est à dire de se coller à lui et d’agir avec le corps dans sa globalité. Le partenaire suivra ensuite le mouvement initié par celui qui fait la projection.
Nous créons nos propres poussées internes et créons nos lignes de forces. Elles peuvent être multiples et agissent dans toutes les directions. Tout cela est notre forme particulière de travail.
A travers le travail postural, que ce soit l’arbre ou d’autres postures, nous recherchons le placement articulaire et musculaire.
Cette recherche permet d’avoir une vision globale du corps, une sensation d’un corps monolithe et dense, qui nous permet d’être dans notre axe, de nous déplacer avec lui. Nous prenons conscience de l’alignement des articulations :
travail approfondi dans le pied (en posture du cavalier, pieds ouverts, parallèles, fermés) qui permet au genou et à la hanche de se corriger :
mouvement avant/ arrière du genou et haut/ bas pour la hanche.
Nous sentons ainsi que les articulations sont un ensemble fonctionnel et interdépendant (relation des articulations entre elles par les os, les muscles, les tendons). Les micros mouvements qu’on effectue en Zhan Zhuang nous permettent ensuite de construire les gestes et les poussées à partir de l’intérieur du corps. Nous travaillons ainsi les directions en poussées internes, du centre vers la peau et en poussées externes, de la peau vers l’intérieur…
De même pour le contrôle musculaire qui se fait par la pensée (imaginer et sentir les pressions, les étirements, les contractions, les relâchements, les explosions fa jing..). Lorsque nous travaillons lentement ou que nous nous exerçons aux différentes poussées internes, nous faisons exactement la même chose que si nous étions dans l’eau : nous travaillons contre une force à ceci près que nous créons nous même cette force. Nous mettons des « freins » plus que de la lenteur.
Ainsi, nous travaillons nos muscles antagonistes : contracter le biceps décontracte le triceps, c’est ce qu’on appelle dans le jargon : « le réflexe myopathique ».
Ainsi, nous affinons nos sensations corporelles, nous visualisons et sentons nos chaînes musculaires, nous avons ainsi une meilleure perception de notre corps.
L’équilibre pour nous est à chercher dans ce travail interne : il nous permettra d’être plus rapide, plus précis et plus agile.
Il nous permettra également d’être accordé à nous même et au partenaire afin d’éviter les mauvaises postures (se pencher lors d’une projection par exemple), de bien appréhender les distances, de nous placer correctement, de sentir (travail en Sen No Sen5), de créer (selon ses propres qualités), de rechercher (stratégie, contrôle, maîtrise).
La Fille de Jade: association loi 1901 de Tai Ji Quan et de Qi Gong
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